
Dans ses enquêtes, le Centre National du Livre affirme régulièrement que les 18-34 ans lisent moins que leurs aînés et passent plus de temps devant les écrans. En réalité, ces générations comptent plus de lecteurs qu’on ne le pense comme le souligne régulièrement dans ses articles Romain Gaillard, responsable du centre national de la littérature pour la jeunesse. Mais qui aurait pu prévoir que l’attention des jeunes générations sur les réseaux sociaux deviendrait un élément clé de la stratégie marketing et digitale des maisons d’édition ? Une nouvelle économie est née. Plongez au cœur de vos écrans pour comprendre la publicité digitale des livres.
Le numérique : nouvel enjeu publicitaire des maisons d’édition
Des recommandations de livres sur Babelio aux publicités Google en passant par les contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux, la publicité des livres est partout sur le web. Pour s’adapter à cette publicité numérique, les maisons d’édition recrutent, investissent et développent de nouvelles formes de publicités notamment sur les réseaux sociaux.
Une jeune femme dans la forêt, un couteau ensanglanté, une maison abandonnée. Vous êtes peut-être déjà tombé sur ces bandes-annonces de livres sur Instagram. Tournage, acteurs, voix-off, tout y est. Voilà comment Mera Editions annonce la sortie en librairie du nouveau livre d’Alicia Sinicka, La fleuriste, autrice polonaise connue pour ces thrillers.
« Un livre est un produit qui doit être vendu grâce à une bonne stratégie marketing » affirme Jérôme Delattre, cofondateur de cette maison d’édition spécialisée dans les romans policiers et les thrillers en traduction. Pour cibler les profils des lecteurs susceptibles d’être intéressés par les auteurs que Jérôme Delattre promeut, il analyse les comportements des consommateurs sur les réseaux sociaux. Grâce à sa formation de développeur web, il est capable « d’appliquer des techniques d’agence web à sa maison d’édition ». En tant que webmarketeur, il écrit et réalise les bandes-annonces de livres. Dans ce secteur émergent, ceux qui ont trouvé les bonnes méthodes veulent les garder. Jérôme Delattre préfère rester discret sur ses méthodes et son business modèle car « peu d’éditeurs utilisent les métadonnées comme moi ».
C’est une recette qui fonctionne : depuis fin 2022, le chiffre d’affaires de Mera Editions a été multiplié par quatre en faisant 16% de ventes supplémentaires sur les livres numériques et 67% sur les livres papiers. Ce succès se ressent aussi sur le compte Instagram. 1000 abonnés en 2024, la maison d’édition en compte désormais 6123. Cette activité sur les réseaux sociaux assure son modèle économique mais elle a un coût et représente 10 à 15% de ses dépenses.
“Le digital, c’est un levier de dingue”
Jérôme Delattre n’est pas le seul à utiliser la publicité digitale pour vendre des livres. Depuis les années 2020, les maisons d’édition s’adaptent à cette nouvelle publicité numérique. « Elles cherchent à créer des postes de community manager pour approcher des influenceurs et faire connaître les livres » précise une responsable du Syndicat national de l’édition. Pour les professionnels du livre, les réseaux sociaux sont le « le nouvel enjeu publicitaire ». Par exemple, chez Hugo Publishing, l’équipe dédiée au digital a récemment été agrandie avec actuellement huit collaborateurs. Plusieurs maisons d’éditions interrogées affirment qu’elles ont besoin de renforcer leurs équipes digitales mais ne le font pas par manque de moyens.
Preuve de la nouveauté de ce métier, les éditions L’Iconoclaste créée en 1998 ont recruté Alice Huguet en 2020 et créé pour elle un poste de directrice de la communication digitale. Issue du monde de la publicité en agence, elle avait déjà travaillé sur le digital pour promouvoir d’autres produits culturels notamment le cinéma et l’événementiel. Alice Huguet a mis ses compétences au service des livres pour développer une stratégie et les contenus digitaux de la maison d’édition. Avec seulement une vingtaine de livres publiés par an, L’Iconoclaste se démarque dans le milieu de l’édition pour proposer des auteurs triés sur le volet et chouchoutés par leurs éditeurs. Les équipes commerciales et marketing portent une attention particulière à chaque projet pour définir une stratégie digitale sur mesure.
Chez L’Iconoclaste, le modèle est bien réglé, pas plus de trois livres sont publiés à la rentrée littéraire de septembre. Parmi eux cette année 2024, Célèbre de Maud Ventura. Après le succès de son premier livre, Mon mari, vendu à plus de 300 000 exemplaires, le deuxième roman de cette jeune autrice était très attendu. À cette occasion, il aura suffit de 154 euros pour qu’Alice Huguet lance une campagne de publicité sur les réseaux sociaux du groupe Meta, Instagram et Facebook. Quelques semaines avant la date de sortie du livre, la publicité est diffusée pendant 17 jours et propose un lien de précommande. Cette campagne revient à 9 euros par jour et c’est avec cette somme qu’Alice Huguet produit une publicité distribuée 126 000 fois pendant deux semaines et demie. Au total, 66 000 personnes sont touchées, c’est-à-dire qu’elles ont au minimum vu la couverture du livre. Le défi c’est que le public clique sur « en savoir plus » qui mène au lien de précommande. Avec ce contenu, Alice Huguet a suscité 4 400 clics sur « en savoir plus ». « Ça c’est une campagne qui a vraiment cartonné » précise-t-elle avant d’ajouter « par rapport au budget, le digital, c’est un levier de dingue ».
4 400 clics, 154 euros, 17 jours de publicité mais combien de livres vendus ? Il est impossible de savoir combien de personnes ont précommandé le livre grâce à cette publicité. « C’est comme une campagne de métro, on sait que ça se voit et qu’on fait de l’image, mais on ne distingue pas les internautes qui ont cliqué pour connaître la date de sortie ou regarder la quatrième de couverture » ajoute la directrice de la communication digitale de L’Iconoclaste. Il n’y a pas d’indicateurs de mesure comme il peut y en avoir pour les « codes promo » proposés par les influenceurs grâce auxquels on peut obtenir le nombre de ventes finalisées avec le code sur le site marchand.
La publicité digitale ne sert pas qu’à faire vivre des nouveaux livres, elle peut lancer la sortie d’un format poche et permettre de faire vivre le « fonds » d’une maison d’édition. Ce sont les livres publiés il y a plus d’un an. Pour continuer de les vendre, les maisons d’édition misent sur des opérations commerciales dont la promotion est en partie faite sur les réseaux sociaux.
“On paye META”
Pour diffuser la publicité digitale “on paye META” affirme Alice Huguet. Le géant du web possède Facebook et Instagram, deux réseaux sociaux très utilisés par les maisons d’éditions qui payent pour y distribuer des sponsorisations. Sur Facebook, la campagne d’un livre avec trois vidéos « tourne pendant trois semaines pour 200 à 300 euros auxquels s’ajoutent les coûts de production de la vidéo » précise Anne-Sophie Richard, responsable de la communication digitale de la collection Proche, collection de livres de poche des éditions Les Arènes et L’Iconoclaste. Il y a des placements qui sont plus chers que d’autres. En 2024, les reels ont explosé sur les réseaux. Ces vidéos très courtes, de quelques secondes à 1 minute 30 secondes, sont plus chers à « placer » puisqu’elles sont valorisées par la plateforme et promettent une audience considérable.
L’objectif des responsables de la publicité digitale, comme Jérôme Delattre, Alice Huguet et Anne-Sophie Richard, est de maximiser le taux de conversion de leur contenu sponsorisé : il faut que la visibilité de la publicité se transforme en clics puis en achats. Pour y parvenir, les responsables digitaux définissent un « public cible » en fonction du thème du livre. Par exemple, pour un ouvrage de Julia Kerninon, Alice Huguet demande au business manager de META de viser les « femmes entre 30 et 45 ans qui s’intéressent à la maternité, à la littérature et à des histoires de femmes ». Il faut aussi choisir le modèle de contenu qui sera le plus efficace. Avec une campagne dite « de notoriété », le but est qu’un maximum de personnes voient la pub sur leurs réseaux, alors l’algorithme s’adapte pour la diffuser très largement. Ça s’appelle « faire du trafic ». À l’inverse pour une campagne dite « de recrutement » visant à ce que le public s’inscrive à une newsletter littéraire, l’algorithme va cibler des profils plus actifs face aux contenus publicitaires. C’est-à-dire des personnes susceptibles de remplir un formulaire pour inscrire leur adresse mail.
La rapidité avec laquelle les tendances évoluent sur les réseaux sociaux, oblige Alice Huguet à se former régulièrement aux nouvelles pratiques pour rester dans le coup. Une habitude qu’elle a gardé de ses anciennes missions mais assez rare dans le milieu de l’édition. Selon elle « ça ne se fait pas beaucoup de se former là dessus ».
Faire du « Google Ads »
Avant la vague des réseaux sociaux, les sites internet étaient les principaux diffuseurs de sponsorisations payantes. Ils sont encore très utilisés pour la publicité digitale des livres. La majorité des contenus sont publiés avec Google Ads, la régie publicitaire de Google, un service qui permet d’acheter des annonces et des bannières publicitaires.
Sur Babelio, site destiné aux amateurs de livres, 8 millions de visiteurs par mois consultent cette plateforme littéraire. Sa large audience en fait un espace numérique très stratégique où il est rentable d’acheter un encart publicitaire. Régulièrement, Babelio propose dans une newsletter des sélections thématiques de livres comme pour la fête des mères ou les vacances de Noël. Pour y mettre en avant un livre, L’Iconoclaste paye 1000 euros. Une somme importante mais pas inutilement dépensée selon Alice Huguet qui ajoute que Babelio touche « des consommateurs qui ne sont pas forcément présents sur les réseaux sociaux ».
Toujours pour élargir le public cible et faire de la publicité auprès du plus grand nombre, L’Iconoclaste raconte qu’en 2023 elle a expérimenté un nouveau contenu pour relancer la campagne digitale du livre primé au Goncourt la même année, Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andréa. Les équipes digitales ont acheté des espaces publicitaires sur des sites de comparateurs de vols tels que EasyJet et Kayak pour afficher le slogan « L’Italie pour 22,90 € » faisant le lien entre le thème du livre et la destination de voyage. Le coût de cette campagne est resté confidentiel.
Sur Google, d’autres pratiques anciennes continuent d’être utilisées comme le référencement de mots-clés pour que les livres apparaissent dans les recherches des internautes. Pour 40 euros par jour pendant deux semaines, 560 euros au total, un livre est référencé pour être affiché dans les « autres produits similaires ». « C’est cher mais c’est rentable ! » indique Anne-Sophie Richard, responsable de la communication digitale de la collection Proche.
Le digital fait émerger un nouveau style littéraire
Face à l’explosion récente de ce marché, une maison d’éditeurs a trouvé dans la New romance un moyen d’intéresser la génération des 18-34 ans très présente sur les réseaux sociaux. Hugo Publishing investit depuis 2013 pour devenir le leader du secteur. La maison d’éditeurs indépendante consacre 80% de son budget digital à la New romance et assure la visibilité de ses livres sur les réseaux sociaux. En investissant sur la publicité digitale, Hugo Publishing ne s’est pas trompé et a trouvé son public. Les 18-34 ans, générations des réseaux sociaux, sont en train de devenir le public littéraire le plus rentable. Ce courant littéraire fait vendre des millions de livres aux jeunes femmes, et de plus en plus aux jeunes hommes, en quête d’histoires vibrantes. En 2024, un livre sur trois acheté grâce au pass Culture appartenait à la New romance selon la SAS pass Culture.
Chez Harper Collins aussi on se lance dans la New romance. Le groupe dont la maison mère est aux États-Unis développe le secteur en France via le label &h Factory. Avec la particularité de miser sur l’achat de livres numériques en publiant des premiers auteurs qui peuvent se voir publier en format poche en fonction « des tendances et de l’engouement des lecteurs » précise Marianne Durand, responsable éditoriale du label. Le choix de vendre des livres numériques s’est imposé à la maison d’édition très facilement. Le temps de l’édition est trop lent face à la rapidité de l’évolution des tendances numériques. « Vendre des livres numériques permet de réagir plus vite et de ne pas laisser passer une tendance » affirme Marianne Durand. Pour mettre en avant ces ouvrages sur les réseaux sociaux, le label finance des partenariats rémunérés avec divers influenceurs littéraires en se limitant à trois collaborations payantes par mois. Mais « c’est voué à augmenter » affirme Marine Charoy responsable marketing chez &h Factory.
Des solutions digitales pour les petits budgets
Pourtant, ces nouvelles pratiques ne sont pas accessibles à toutes les maisons d’édition. Les plus petites ne peuvent pas financer des influenceurs littéraires pour chaque livre. La collection Proche regrette d’avoir payé des prestations trop chères pour son budget. « On a été jusqu’à 3000 euros la mission, mais ça n’était pas tenable » déclare Anne-Sophie Richard de la collection Proche. Dorénavant, elle ne travaille qu’avec un influenceur par livre. En 2024, ils ont rémunéré six collaborations. En termes de budget, L’Iconoclaste aussi est « sur des équilibres très fragiles » assure Alice Huguet.
Pour maintenir la visibilité de leurs produits sur les réseaux sociaux, les maisons d’édition établissent des stratégies à moindre coût. Cela passe par « faire du sur-mesure pour chaque livre ». « Je n’envoie pas spontanément des livres à des influenceurs en leur disant « lisez-le, chroniquez-le et aimez-le » raconte Alice Huguet de L’Iconoclaste avant d’ajouter que sa maison d’édition fait aussi des collaborations gratuites.
Par exemple, en novembre 2024 à l’occasion de la sortie du deuxième livre de Baptiste Beaulieu, Tous les silences ne font pas le même bruit, L’Iconoclaste s’est associé avec SOS homophobie pour produire une vidéo engagée pour la lutte contre l’homophobie. En parallèle, le collectif Period Studio a republié gratuitement la vidéo à la suite d’un partenariat rémunéré pour ce même ouvrage. Une pratique que développe aussi la collection Proche qui collabore avec la marque My Lubie et sa tisane aphrodisiaque « Désir » à l’occasion de la sortie du livre Désirer, le 7 mai dernier.
Autre technique pour réduire les frais : créer un pool d’influenceurs. Chez Harper Collins, le label &H Factory a recruté 70 influenceurs littéraires non rémunérés. Chacun d’entre eux est partenaire de la maison d’édition. Leurs missions peuvent aller de la simple consultation sur le choix d’une couverture de livres à la production de contenu digital non rémunéré. Ces influenceurs bénéficient de quelques avantages en nature comme l’invitation à des événements littéraires, ils reçoivent aussi les livres gratuitement.
Lorsque les comptes des influenceurs deviennent très suivis sur les réseaux sociaux, cela se compte en dizaine de milliers d’abonnés. Ils sont alors quotidiennement rémunérés par les maisons d’édition pour leurs contenus. Avec la professionnalisation de ces collaborations digitales littéraires sont apparus des grilles de tarifs, des contrats et même des agences d’influence.
Influenceurs littéraires : combien gagnent-ils ?
Les influenceurs littéraires sont des nouveaux prestataires de services avec lesquels les maisons d’édition doivent apprendre à travailler. Les comptes de Bookstagram partagent des conseils de lecture et rassemblent des dizaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux. Certains vivent pleinement de ce véritable phénomène de publicité, rencontre avec deux leaders du secteur : Maïté Defives pour @MademoiselleLit en France et François Coune pour @livraisondemots en Belgique.
À 39 ans, Maïté Defives, propriétaire du compte @MademoiselleLit, cumule 102 000 abonnés sur Instagram, le réseau social aux 26 millions d’utilisateurs en France. Cette ancienne employée de banque et d’assurance a ouvert son compte en 2017. À l’époque, les collaborations ne sont pas rémunérées. Trois ans plus tard, le phénomène a pris de l’ampleur à la faveur du confinement en 2020. Celle qui ne regarde aucune série et lit minimum deux heures et demie par jour commence à toucher de l’argent pour son contenu littéraire. Depuis elle a quitté son travail et vit pleinement de cette activité. Maïté Defives ne souhaite pas partager le niveau de ses revenus mais elle assure qu’elle parvient à se verser un salaire mensuel au même niveau que ce qu’elle percevait en tant qu’employée de banque.
Les revenus des influenceurs en général suscitent beaucoup de fantasmes. François Coune, propriétaire du compte @livraisondemots, accepte de donner une fourchette en précisant que c’est très fluctuant « par exemple les mois de juillet, août et janvier, c’est une catastrophe, on signe beaucoup moins de missions sur Instagram ». Une mission correspond à un ou plusieurs contenus postés sur Instagram pour la promotion d’un livre ndlr. Avec ses 94 300 abonnés, il affirme que c’est rarement en dessous de 2 000 euros par mois mais que « cela peut grimper parfois à 10 000 euros ». Sur l’année « ces sommes se lissent » et lui permettent « de vivre confortablement sans avoir des millions » sur son compte.
« On n’est pas cher »
800 à 1500 euros la mission. Pour comprendre ces chiffres confirmés par toutes les maisons d’éditions interrogées, François Coune accepte de détailler ses méthodes de travail. À 29 ans, il est convaincu que pour partager un livre sur les réseaux sociaux, un « contenu unique sur Instagram n’apporte rien ». Alors, il propose aux maisons d’édition un « pack » de contenu. Pour une chronique vidéo sur un livre, un concours, et trois story – publications éphémères de 24h – il est rémunéré en moyenne 1000 à 1200 euros. L’ancien étudiant en communication précise que ses tarifs ne sont jamais les mêmes, « puisque chaque livre est différent ». Les montants ne descendent « jamais en dessous de 400 euros et peuvent aller jusqu’à 4 000 à 5 000 euros », mais « c’est beaucoup plus rare », précise-t-il. Bien que peu pratiqué, il indique qu’une seule story coûte 180 euros. Face aux critiques que peuvent susciter ces montants, François Coune rappelle qu’ils ne sont « pas chers par rapport aux espaces publicitaires dans les médias traditionnels ».
Avec les années d’expérience, les tarifs et les pratiques évoluent. Sur les 130 livres qu’elle lit par an, et la dizaine au mois, Maïté Defives promeut aujourd’hui entre un et quatre livres par mois de façon rémunérée. Il y a quatre ans, les prix étaient moins élevés, elle chroniquait six à huit livres pour la même somme d’argent. En 2021, les tarifs ne dépassaient pas les 1000 euros. « Financièrement cela revient au même mais le travail est plus qualitatif » précise-t-elle.
Selon les secteurs, les tarifs sont différents. Pour la New romance, ils peuvent être pratiqués pour une seule vidéo mais les responsables affirment que « même si on ne peut pas mesurer l’impact sur les ventes, on s’y retrouve, ça c’est certain ». François Coune est lui aussi persuadé que son activité augmente les ventes « sinon on ne nous rappellerai pas ! » plaisante-t-il.
Les rémunérations varient aussi en fonction du taux d’engagement que suscitent les posts sur les réseaux. C’est-à-dire, le nombre de likes et de vues par rapport au nombre d’abonnés du compte. Cet indicateur est très important pour les éditeurs. L’influence est devenu un secteur tellement lucratif qu’il y a même des agences d’influenceurs littéraires qui se développent. Ces organisations accompagnent les influenceurs dans leur contrat avec les maisons d’édition et prennent au passage « une commission de minimum 10% » d’après Maïté Defives qui refuse de son côté d’intégrer une agence. Elle assure, « je préfère tout gérer moi-même ». Information prise auprès des maisons d’éditions, « si les influenceurs sont en agence, c’est plus cher ».
Toute une économie de la publicité des livres se développe aussi avec des contenus sur Youtube et Tik Tok. Les célèbres BookTok, comme ceux du compte @amyjordanj avec ses 378 000 abonnés, rassemblent tellement d’internautes que certains influenceurs littéraires quittent Instagram pour rejoindre le réseau social chinois. D’autant qu’il a l’avantage de rémunérer le contenu des comptes avec minimum 10 000 abonnés et sur les vidéos faisant 1 million de vues minimum. Face à ce phénomène, les maisons d’édition s’adaptent encore. « On peut payer 10 000 euros une mission sur TikTok tellement il y a d’audience » confie une collaboratrice préférant rester anonyme.
Une majorité de contenus gratuits
Les deux influenceurs français et belge s’accordent à dire que seulement 5 à 10% de leurs contenus sont rémunérés. La très grande majorité de leur travail est donc publié gratuitement. François Coune mentionne sur son compte vingt-cinq ouvrages sur les trente livres, BD et romans graphiques qu’il lit par mois. Mais il n’est rémunéré que pour 5 d’entre eux. Tous deux passionnés de lecture, ils sont « très sollicités » par les maisons d’éditions et séduits par la liberté que leur offre ce choix dans leurs missions sans compromettre leur oeil critique sur les livres. Cela leur permet de ne pas sortir de leurs « lignes éditoriales » et de conserver une « cohérence » dans leurs contenus ajoute Maïté Defives. Plus une collaboration avec une maison d’édition est ancienne, plus elle sait quels styles de livres proposer à ses influenceurs. Cette personnalisation leur permet de promouvoir uniquement des ouvrages qu’ils leur ont plus. Malgré la professionnalisation de leurs activités d’influence, ils disent ne jamais faire la promotion de livres qu’ils n’ont pas appréciés.
François Coune souhaiterait que ce métier soit davantage reconnu et il regrette « les dérives de certains éditeurs » qui préfèrent payer moins cher des plus petits influenceurs littéraires et cibler un public moins captif alors que lui-même rassemble une importante communauté fidèle à sa ligne éditoriale.
Maïté Defives et François Couneinsistent sur le temps de travail que nécessitent ces contenus vidéos : il faut écrire la chronique, organiser le tournage, faire le montage, et programmer les publications. « Ça représente au moins 2 à 3 jours de travail par vidéo sans compter le temps de lecture » indique François Coune avant d’ajouter « mon activité c’est plus qu’un temps plein, on bosse quoi ! ». Ni lui, ni sa collègue française ne font appel à des prestataires extérieurs pour les aider. Ils travaillent seuls et s’occupent « de tout », de la gestion des mails à la publication des posts.
Des revenus annexes très lucratifs
Au-delà de leurs comptes Instagram, François Coune et Maïté Defives ont diversifié leurs activités. Alors que lui est en pleine tournée des librairies pour la sortie de son premier livre « Lire, Lire, Lire », elle a aussi signé un contrat avec la maison d’édition suisse Jouvence, filiale du groupe Albin Michel, pour son livre « 100 livres qui changent la vie ». L’été dernier, elle a également sorti un cahier de vacances à destination des adultes sur la littérature. Pour ces produits, ils perçoivent les à-valoir et les droits d’auteurs. L’événementiel fait aussi partie des revenus supplémentaires pour ces deux influenceurs littéraires qui sont rémunérés pour créer du contenu digital lors de salons. François Coune participe aussi à de nombreux festivals et foires du livre, à des conférences, et à des rencontres dans les établissements scolaires.
Maïté Defives a récemment développé une nouvelle activité en se formant à la bibliothérapie. Elle anime trois ateliers thématiques par mois en présentiel ou à distance. Chaque session peut accueillir 12 personnes maximum. Comptez 30 euros pour 1h30. Enfin, elle collabore avec une créatrice qui propose des accessoires littéraires. Pour les housses de livre, les marque-pages, les coussins de lecture vendus, elle touche une commission de « 1 ou 2 euros par accessoire ». L’auto-entrepreneuse insiste que ce sont des sommes brutes qui sont ensuite réduites par l’URSSAF et les impôts. La hausse de ces taxes l’oblige à réévaluer ces tarifs.
Des livres gratuits et rentables
Qu’ils aient 6000 ou 100 000 abonnés, tous les influenceurs littéraires peuvent recevoir les nouveautés littéraires grâce au service presse. À la sortie d’un livre, c’est une pratique habituelle chez les éditeurs qui envoient plusieurs ouvrages aux médias et à d’autres relais d’opinion. Le service presse est un moyen de créer et de maintenir un contact. Pour la collection Proche, Anne-Sophie Richard estime que « 50% des livres envoyés en service presse le sont pour des influenceurs littéraires ».
Pour les plus petits comptes, comme celui de Léa @MonPetitBook-an, le service presse est un avantage non négligeable. « Depuis la création du compte, mon budget livre a au moins été divisé par 20 ! » affirme la propriétaire du compte aux 6200 abonnés. Bien qu’elle ne pratique pas de partenariats rémunérés avec les maisons d’éditions, Léa reçoit au moins une centaine de livres par an. À la rentrée littéraire en automne 2024, il y en avait 54 au pied de sa porte contre une quarantaine à la rentrée littéraire en janvier 2025. Si un livre lui a plu, elle rédige une chronique sur Instagram mais « personne ne m’y a jamais obligé » précise-t-elle.
Pour elle, ce ne sont « pas des sous gagnés, mais des sous économisés ». Et elle ne comprend pas que certains influenceurs se permettent de revendre sur Vinted ces livres neufs et perçus gratuitement ! « C’est facile de s’en rendre compte, quand un livre est vendu entre 10 et 12 euros alors qu’il vient de sortir » indique Léa avant d’ajouter que « s’il y en a plusieurs, vous pouvez être sur que c’est de la revente de service presse ».
Et les auteurs dans tout ça ?
Anne-Sophie Richard est intimement persuadée que même si cela participe à l’augmentation des ventes « certains auteurs ne veulent pas de cette nouvelle publicité digitale ». Ils préfèrent rester traditionnels dans la promotion de leurs ouvrages en continuant à répondre à des articles de presse, et à participer à des événements. D’autres, comme Cécile Coulon, acceptent volontiers de passer devant la caméra pour pitcher leur nouveau livre en quelques secondes sur Instagram.
Pour les maisons d’éditions interrogées, cette publicité digitale « profite à la chaîne complète » et permet au secteur du livre de se diversifier. « Vous avez mis les moyens pour que mon livre soit connu » se sont déjà réjouit plusieurs auteurs.
La publicité digitale fait désormais partie intégrante de la stratégie marketing des maisons d’édition. Si elle se développe considérablement dans plusieurs secteurs dont la New romance, elle n’a pas encore investi la littérature plus traditionnelle et contemporaine. À l’avenir, il n’est pas exclu que tous les styles d’écriture trouvent leurs influenceurs sur les réseaux sociaux. Pourquoi ne pas imaginer le prochain prix Goncourt chroniqué sur Instagram par un influenceur littéraire ? Ces professionnels du livres sur les réseaux sociaux pourraient-ils devenir des critiques littéraires aux côtés du Masque et la Plume ou de La Grande Librairie ?