Catégories
Les articles

Les illusions perdues d’une jeunesse surdiplômée

Les mutations du monde du travail et l’accession entravée au logement désillusionnent des jeunes actifs âgés de 23 à 30 ans. L’obtention d’un Bac + 5 ne suffit plus pour se prémunir d’un déclassement social, phénomène qui alimente le mal-être des nouveaux entrants sur le marché du travail.

Dans sa vie de jeune adulte, la passion a très vite laissé place à la désillusion. Rencontrée un samedi après-midi au cœur de la cité lilloise galvanisée par le retour printanier du soleil, Anaïs (son prénom a été modifié), 29 ans, paraît impassible. Diplômée d’un master de sociologie de l’université de Lille, elle enchaîne depuis trois ans des CDD et quelques missions d’intérim en région lilloise. « Je savais que les débouchés n’étaient pas illimités. Mais galérer autant de temps, c’était pas du tout prévu », confie la jeune nordiste, toujours domiciliée chez ses parents.

Ne se destinant ni à l’enseignement ni à la recherche, la jeune active se voyait chargée d’études dans le secteur public. « M’arrêter au niveau licence était inenvisageable. Dans ma tête, avoir un Bac + 5 était une assurance, une garantie de trouver quelque chose d’assez stable. On est très loin du compte », soupire la future trentenaire. Actuellement assistante en ressources humaines dans le privé et employée sous contrat à durée déterminé, ses revenus plafonnent à près de 1 600 euros nets par mois.

Un indicateur en demi-teinte

Les longues études prémunissent-elles encore du chômage et de la précarité ? Selon un rapport publié en 2023 par la direction des études statistiques du ministère de l’enseignement supérieur, 78,1 % des diplômés de master en 2021 occupaient, 18 mois après leur sortie d’études, un emploi salarié. Parmi ces employés, 63,5 % d’entre eux étaient « insérés en CDI dans le privé », notait l’étude. Autrement dit, la moitié des diplômés de master n’avait pas décroché de CDI dix-huit mois après leur sortie d’études.

Ces tendances sont corroborées par l’enquête « Génération 2017 » menée par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Axée sur les trois premières années de vie active des 77 000 jeunes ayant obtenu le diplôme de master en 2017, cette étude souligne que « 85 % des diplômés de master sont en emploi trois ans après l’obtention de leur diplôme ».

« Pour les spécialités Arts et lettres & Sciences naturelles de la vie, l’adéquation
entre la formation et l’emploi occupé après trois années sur le marché du travail
est la plus faible » 

Cet indicateur global occulte toutefois des tendances sous-jacentes, aux implications conséquentes. S’il semble globalement satisfaisant, le taux d’insertion professionnelle des surdiplômés varie toutefois selon la spécialité de formation.

Des inégalités d’insertion seon les filières d’études

Ainsi, trois ans après leur sortie d’études, 59 % des diplômés en informatique et 54 % des diplômés en finance occupent un emploi de cadre et perçoivent des revenus supérieurs à la moyenne des masters, établie à 1 930 euros nets mensuels. A contrario, seuls 16 % des diplômés de sciences humaines & sociales et 7 % des diplômés d’arts & lettres ont poursuivi une telle trajectoire.

Inégale selon les filières, l’insertion professionnelle peut être source de frustration pour nombre de néo-diplômés, notamment en cas de décorrélation entre la spécialité d’études et le secteur d’activité. « Pour les spécialités Arts et lettres et Sciences naturelles de la vie, l’adéquation entre la formation et l’emploi occupé après trois années sur le marché du travail est la plus faible », note le Céreq, avançant entre autres un « manque de débouchés ».

La diversité des trajectoires empruntées par les jeunes actifs surdiplômés se traduit par un écart de rémunérations conséquent. Trois ans après leur diplomation, les étudiants en Finance perçoivent en moyenne un salaire culminant à 2 480 euros, selon l’étude du Céreq. Lanternes rouges du classement, les diplômés de master d’Arts et d’Éducation sont respectivement rémunérés, en moyenne, 1 680 et 1 720 euros nets mensuels.

Un déclassement professionnel objectivé

De longues études ne facilitent donc plus, comme autrefois, une insertion professionnelle conjuguant stabilité et rémunération suffisante. « Les diplômés de l’enseignement supérieur qui arrivent sur le marché du travail sont plus nombreux, et c’est une bonne nouvelle. Mais en parallèle, le marché de l’emploi n’a pas entièrement suivi cette progression : le nombre de postes de cadres n’a augmenté aussi vite que le nombre d’inscrits dans l’enseignement supérieur », observe Anne Brunner, directrice des études à l’Observatoire des inégalités.

Conséquence logique de cette discordance : des jeunes actifs n’accèdent pas au niveau d’emploi auxquels ils pouvaient prétendre avec leur diplôme. Ce déclassement professionnel n’est pas qu’un « sentiment », mais bien un fait objectivé au fil des décennies.

« Par rapport à ce qu’avaient droit leurs parents avec un même diplôme, ces diplômés accèdent à des postes moins qualifiés, avec moins d’autonomie, plus de contraintes et des tâches plus répétitives. »

« Dans les années 1980, 76 % des étudiants qui sortaient de l’école avec un Bac +2, accédaient à un poste de cadre ou de profession intermédiaire. Aujourd’hui, quand ils débutent sur le marché du travail, les Bac + 2 ne sont plus que 53 % à accéder à ce type d’emploi, fait remarquer la sociologue Anne Brunner. Par rapport à ce qu’avaient droit leurs parents avec un même diplôme, ces diplômés accèdent à des postes moins qualifiés, avec moins d’autonomie, plus de contraintes et des tâches plus répétitives. »

Pis, l’ombre du chômage plane sur un nombre croissant de jeunes surdiplômés. En 1998, le taux de chômage des diplômés de master était de 5 %, selon le Céreq. Il est désormais de 9 % pour la génération des diplômés de 2017.  Même pour ceux occupant un emploi, l’arrivée sur le marché du travail sonne le glas de plusieurs années d’illusions, débouchant sur une position sociale en déclin par rapport à leurs aspirations ou leurs attentes initiales.

Décalage entre les aspirations et les conditions réelles

Dans sa note « Les jeunes et le travail : aspirations et désillusions des 16-30 ans » parue en avril 2025, l’Institut Montaigne souligne le rapport qu’entretient cette frange de la jeunesse avec le monde du travail. « Un groupe significatif se distingue par un profond mal-être personnel et une détresse psychologique », notent les auteurs de la note, ajoutant que « ces difficultés trouvent souvent leur origine dans une orientation scolaire perçue comme inadaptée, un phénomène qui alimente des parcours précaires et un sentiment de déclassement ».

Une fois encore, les diplômés de lettres et des sciences humaines & sociales sont ceux qui éprouvent, parmi tous ceux issus d’une filière longue, le plus de frustration globale dans le travail. Deux critères sont ici avancés : la rémunération et la proportion de temps libre, « soulignant un décalage profond entre les aspirations des jeunes et les conditions réelles de leur emploi », estiment les auteurs de l’étude.

Signe d’une certaine évolution du monde du travail, l’entrée dans la vie active des néo-diplômés se fait bien davantage sous le signe de la précarité. « 22 % des diplômés sont confrontés à un emploi précaire cinq ans après leur sortie d’études. Si l’augmentation de la précarité de l’emploi pèse massivement sur les jeunes non-diplômés, elle affecte tout de même les diplômés du supérieur, qui n’étaient que 13 % à être concernés par cette problématique en 1985 », rappelle Anne Brunner.

Le mal-logement, carburant du sentiment de déclassement

Pour un nombre croissant de jeunes diplômés, les contrats précaires s’enchaînent et retardent l’obtention d’un CDI. Or, c’est ce dernier qui leur permet de concrétiser des projets personnels, notamment l’achat d’un logement. Une quête complexifiée pour l’ensemble des primo-accédants, tous niveaux de rémunération confondus, sur fond de grave crise du logement.

« Les personnes qui déclarent avoir du mal à faire face à leurs dépenses de logement tendent 2,4 fois plus souvent que les autres à se classer dans le bas de l’échelle sociale » 

L’augmentation des prix du marché immobilier, cumulée à la hausse des taux d’intérêts et à la chute de la construction neuve, fige le parcours résidentiel et ne permet pas aux nouveaux entrants, en particulier aux jeunes, de disposer de logements abordables.

Or, les difficultés de se loger alimentent le sentiment de déclassement social. En 2010, le Centre de recherche pour l’Étude et l’Observatoire des Conditions de Vie (Crédoc) a eu l’originalité de demander à des Français de se classer eux même dans une catégorie sociale. 66 % des répondants affirmaient appartenir à la classe moyenne. À âge identique, les chercheurs notaient que « les personnes qui déclarent avoir du mal à faire face à leurs dépenses de logement tendent 2,4 fois plus souvent que les autres à se classer dans le bas de l’échelle sociale ».

Ce mal-être est exprimé sans fard par David (voir portrait), 25 ans, installé à Ajaccio (Corse-du-Sud) et diplômé d’un master de Droit de l’université Aix-Marseille. « J’ai un emploi en CDI, une petite amie, des engagements associatifs. J’ai besoin de place, je me sens à l’étroit dans ma chambre d’ado », confie-t-il. Employé dans la fonction territoriale, le vingtenaire passe encore ses nuits dans l’appartement familial, situé en périphérie de la cité impériale. « J’ai une vie qui n’est pas encore complète. J’ai l’impression de faire un sprint et de ne pas arriver jusqu’au bout. À mon âge, mes parents étaient déjà indépendants, moi, je ne suis toujours pas autonome », déplore-t-il. Témoignant d’un « déclassement intergénérationnel », le jeune actif compte sur la baisse des taux et l’assouplissement des conditions de prêt pour contracter un crédit à des conditions avantageuses. Et amorcer, enfin, son chemin vers l’indépendance.

Les jeunes actifs épris d’alternatives

Métropoles ou villes moyennes, toutes les aires urbaines de l’Hexagone sont confrontées à un marché locatif sous tension. Signe d’un changement d’ère dicté par la baisse des rémunérations à l’entrée de la vie active, les colocations, autrefois l’apanage des étudiants, sont désormais prisés, malgré eux, par des jeunes actifs.

Selon La Carte des colocs, une plateforme dédiée à la recherche de colocations, « l’âge moyen des colocataires est de 27 ans, en augmentation constante depuis 10 ans ». L’âge moyen culmine même à 29 ans à Paris, où 50 % des profils créés en 2023 étaient des jeunes actifs, selon les données du site reprises par Le Monde. Cette proportion de jeunes actifs est également en progression, culminant à 53 % en 2024 en surpassant celle des étudiants (45 %).

La précarisation des jeunes travailleurs surdiplômés s’illustre de même par l’attractivité grandissante des foyers de jeunes travailleurs. Dans la métropole lilloise, l’Union régionale pour l’Habitat des Jeunes (URHAJ) s’active pour « recevoir, conseiller et orienter 5 000 jeunes », décrit Menouar Malki, délégué régional de l’URHAJ des Hauts-de-France. L’association propose par ailleurs près de 900 logements à Lille, une offre sous-dimensionnée au regard des sollicitations : « on ne répond uniquement qu’à 9 % de la demande de logement », déplore le représentant régional.

Sentiments d’abandon et d’injustice

La situation actuelle inquiète ce connaisseur du marché du logement lillois, qui note une « accentuation de la crise » survenue au lendemain de la crise sanitaire. « Le logement est un droit inscrit dans la Constitution, mais on l’a laissé dans les mains de la finance », soupire-t-il. Parmi les jeunes sollicitant un logement à prix abordable, le délégué régional constate la présence de « profils de jeunes Bac + 5 qui ont un contrat de travail, mais qui ne parviennent pas à accéder à un logement du fait de leur nom ou de la précarisation de leurs documents administratifs ». Cumulées à la conjoncture économique, ces discriminations ethno-raciales constituent un frein supplémentaire à l’ascenseur social pour une partie des jeunes actifs.

« Nous avons des retours sur le fait que certains en viennent à louer des boxes de garages, les aménagent et dorment dans leur voiture »

Enchaînant les contrats précaires et exclu d’un marché locatif sous tension, des jeunes actifs se tourneraient vers des alternatives jusqu’alors inconcevables. « Nous avons des retours sur le fait que certains en viennent à louer des boxes de garages, les aménagent et dorment dans leur voiture », confie Menouar Malki. Illustration extrême du déclin économique d’une partie définitivement désenchantée de la jeunesse diplômée.

Les évolutions du monde du travail, décorrélées de la démocratisation de l’enseignement supérieur, ont dévalué les grands diplômes et les longues études, notamment celles de sciences humaines & sociales. Étudier permet-il d’obtenir une meilleure position sociale que celle occupée par ses aïeux ? Seuls près de 47 % des jeunes européens estiment que leur niveau de vie sera meilleur que celui de leurs parents, contre près de 70 % des jeunes sud-asiatiques, selon l’Organisation international du Travail.

« Génération sacrifiée » au lendemain de la crise financière de 2009, « jeunesse sacrifiée » au sortir de la crise sanitaire en 2021… Les conséquences sociales et économiques des chocs exogènes subie par la société française – et plus globalement par celles occidentales – place les plus jeunes générations en première ligne. Celles-ci expriment un sentiment croissant de déclassement social qui ne parvient, pour l’heure, à être résorbé.

Les sentiments d’injustice et d’abandon alimentent la défiance des administrés à l’endroit des responsables politiques. Les jeunes votent moins : 23 % des primo-votants s’étaient abstenus à la présidentielle et aux législatives de 2022, marquant une hausse de 9 points vis-à-vis des primo-votants de 2002, selon l’Injep. Cette génération cède également aux sirènes du vote contestataire, complétant progressivement les rangs du Rassemblement National (RN). En juillet 2024, 32 % des moins de 35 ans ont voté pour un candidat estampillé RN, contre 18 % en 2022, selon l’Ipsos. À l’image de la classe ouvrière, ancien pilier de la gauche conquis par le discours enflammé du Front national (ex-RN), un nombre croissant de jeunes se tournent vers le vote extrémiste, exprimant leur désenchantement et leurs tourments encore non résolus.

PORTRAIT. Les aspirations inachevées d’un jeune actif en CDI

David, 25 ans, est titulaire d’un Master et est employé en CDI (illustration).

Croit-il encore aux promesses de l’aube ? Celles des possibilités infinies que peut offrir son futur, l’espoir d’accomplir ses nombreuses aspirations, de réaliser enfin une ascension sociale tant souhaitée ? David*, né en l’an 2000, est un jeune adulte qui doute. Dans le froid hivernal du mois de février, ce diplômé d’un master de Droit nous donne rendez-vous dans un café à Ajaccio (Corse-du-Sud). À l’abri du vent glacial qui façonne, devant nous, les vagues houleuses de la mer, le vingtenaire ne refoule aucune de ses frustrations.

Le jour, cet employé dans la fonction territoriale a un CDI, une copine, des passe-temps. La nuit, il rêve encore dans son lit d’adolescent, sous le toit familial, en périphérie de la cité portuaire. « J’ai une vie qui m’est propre et qui dépasse le seul cadre de la famille. Avoir mon bien concrétiserait mon autonomie, alors évidemment, je veux acheter le plus tôt possible », se désole le vingtenaire.

Malgré la nature rudimentaire de ses exigences de recherche – surface de 30 m2 tolérée -, ce surdiplômé ne parvient pas à devenir propriétaire. Le contexte est sensible, mêlant hausse de prix et contraction inédite de l’offre de biens, sur fond d’une surreprésentation de résidences secondaires dans le parc immobilier insulaire : près de 37,4 % contre 9,9 % au niveau national en 2024, selon l’Insee. Une moyenne régionale en progression, établie à 28 % en 2020.

Les difficultés d’accession au logement minent le moral de cet employé en CDI. « Il y a des hauts des bas. Au moment où j’ai été déclaré solvable, j’étais dans l’euphorie. J’ai compris que j’allais bientôt avoir mon propre bien, la banque m’avait validé qu’un prêt était faisable », se souvient-il, avant de marquer un temps d’arrêt. Le silence n’a pas le temps de s’installer. « Les mois suivants, j’ai eu la lassitude de ne pas trouver, que ça n’aille pas aussi vite que je voulais. Je suis maintenant résigné, tout en pensant que ça tombera un jour ou l’autre », souffle-t-il.

David dresse un parallèle entre son expérience personnelle et la conjoncture actuelle, dont il subit de plein fouet les conséquences. Elle renforce sa détermination à militer pour l’autonomie de la Corse. « En légiférant nous-même, nous défendrons nos intérêts et nous combattrons plus efficacement contre la spéculation immobilière, mais aussi foncière, qui profite aujourd’hui à beaucoup de continentaux », estime-t-il. Au sentiment de déclassement social se conjugue celui du déclassement territorial, l’un des carburants du vote nationaliste.

INTERVIEW. Crise de l’immobilier : « Les premières victimes sont les jeunes »

Pierre Madec, économiste à l’OFCE et enseignant à Sciences-Po Paris, décrypte les conséquences de la crise historique du logement pour les jeunes actifs et les ménages précaires, premières cibles d’une conjoncture qui alimente leur sentiment de déclassement.

Pierre Madec, économiste à l’OFCE. (DR)

Le cas de David* [lire ci-dessus, ndlr] illustre dans quelle mesure les difficultés d’accès au logement peuvent alimenter le sentiment de déclassement exprimé par les jeunes actifs. Est-ce une tendance vérifiée à plus grande échelle ?

Oui, le sentiment de déclassement est très bien documenté du point de vue économique. Les premières victimes des dynamiques du marché de l’immobilier sont les jeunes. Les jeunes sont mobiles, or ce sont les personnes mobiles qui subissent les coûts de logement les plus importants. Diplômés ou pas diplômés, ce sont les jeunes qui sont les plus précaires au regard de leur situation. Autant le retour de « l’agilité » sur le marché du travail est vanté, autant le marché de l’immobilier ne l’est pas par nature. Du coup, ceux qui sont perdants quand il y a une concurrence plus accrue sur le marché du logement, ce sont les plus précaires, les plus agiles, donc les plus jeunes. Ils arrivent sur le marché et sont perdants, ils paieront des loyers plus chers que ceux qui sont déjà en place et sont plus confrontés à l’absence d’offre de logement que les autres.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que les jeunes concentrent leurs recherches sur les zones les plus tendues, là où le marché du travail est le plus attractif. Or, c’est bien là où le déséquilibre entre l’offre et la demande de logements est le plus important. La crise est concentrée dans les zones les plus attractives, urbaines, tendues. Les jeunes actifs sont le plus en concurrence sur un type de logement donné, et du fait de leurs caractéristiques, seront privilégiés un ménage plus âgé, un couple avec des revenus plus stables, avec un contrat de travail plus stable, avec potentiellement un apport personnel, etc. Vis-à-vis des crises du logement, tant structurelles que conjoncturelles, les principaux perdants sont les plus pauvres. Mais en termes de catégorie d’âge, ce sont les plus jeunes qui sont les grands perdants.

Sur l’ensemble du territoire, la crise du logement ne se résorbe pas et impacte de plus en plus de ménages. Comment en est-on arrivés là ?

Plusieurs crises se chevauchent sur la période récente. Depuis vingt-cinq ans, on observe des difficultés croissantes pour les ménages les plus modestes, notamment les jeunes. Il y a une crise du logement cher. Les prix de l’immobilier ont été largement soutenus par l’assouplissement des conditions de crédit à destination d’une partie des ménages. Mais les ménages les plus précaires ont été confrontés à l’augmentation des prix, sans bénéficier de cet assouplissement du marché du crédit.

Mais désormais, la crise du logement n’impacte plus seulement les ménages précaires, en témoigne la situation de David…

Tout à fait. À ces difficultés s’est ajoutée une crise conjoncturelle, qui est arrivée récemment. Les taux ont augmenté, resserrant les conditions de crédit. Beaucoup de ménages se sont ainsi retrouvés désolvabilisés, et n’ont plus réussi à accéder à la propriété. Ces ménages, souvent primo-accédants, sont dans le marché locatif privé et souhaitent acheter un appartement ou une maison. Ce sont des ménages jeunes qui vivent généralement dans une zone tendue. Comme ils ne peuvent pas accéder à la propriété, ils restent dans leur logement et ne libèrent pas de logement. Si ces ménages ne libèrent pas leurs logements, alors les nouveaux entrants, bien plus jeunes et souvent plus précaires, ont encore moins de logements à disposition. Au-delà de la crise conjoncturelle, c’est tout le parcours résidentiel qui se retrouve encore plus paralysé.

L’accession à la propriété reste un rêve d’une majorité de locataires. Pourquoi est-il aujourd’hui plus difficile de devenir propriétaire ?

C’est devenu plus compliqué, même malgré l’assouplissement des conditions de crédit, parce que les prix ont augmenté. Depuis 25 ans, il y a une déconnexion entre les revenus des ménages et les prix de l’immobilier, désormais tirés par les taux d’intérêt et l’allongement des durées d’emprunt. Ce mécanisme d’assouplissement massif a fait plus de perdants que de gagnants : il y a une baisse du nombre d’accédants à la propriété et une augmentation des non-accédants.

Mais ce n’est pas vrai de partout, le territoire français n’a jamais été autant fragmentée en termes de prix de l’immobilier, avec des zones à 10 000 ou 15 000 euros le m2, et des zones à 1 000 ou 1 500 euros. Derrière les difficultés d’accession à la propriété, il y a bien la crise du logement cher.

Quels ménages peuvent se permettre de devenir propriétaires aujourd’hui ?

Cela dépend des zones dans lesquelles on se trouve. De façon générale, on sait que les transmissions intergénérationnelles sont de plus en plus importantes. Être issu d’une famille qui a les moyens de vous aider financièrement est un vrai déclencheur d’achat, ce qui n’était pas forcément le cas dans les années 1990. Il y a une reproduction des inégalités intergénérationnelles. Puis naturellement, il est plus simple d’être propriétaire là où l’immobilier est le moins cher et lorsque vous avez un bon niveau de ressources.

Quelles sont les différentes conséquences de l’enlisement de ce marché ?

Les conséquences sont nombreuses. L’évolution des prix de l’immobilier est le facteur prédominant pour expliquer l’explosion des inégalités de patrimoine, entre les générations et au sein-même des générations. Le deuxième effet est économique : sans construction de logement sociaux ni régulation, la concentration de l’activité dans les grands pôles urbains fait augmenter mécaniquement les prix. Par conséquent, les travailleurs urbains se logent à la périphérie de ces pôles, provoquant de l’étalement urbain et une augmentation des temps de transport.

Quelles solutions défendez-vous pour résorber cette crise du logement ?

On a laissé le marché s’emballer, et les prix sont désormais trop élevés. On peut agir sur plusieurs leviers. D’abord celui du logement neuf : on a des moyens de produire moins cher, avec les offices fonciers solidaires, la dissociation du foncier et du bâti, la production de logements sociaux… Des dispositifs qui encouragent la production neuve sans avoir un effet inflationniste. Sur le levier de l’ancien, on peut réguler en mobilisant les logements qui existent mais qui ne servent pas à loger des personnes à l’année, comme les résidences secondaires ou les meublés de tourisme. Il faut une régulation de la part de la puissance publique, afin que des résidences secondaires deviennent des résidences principales. Le neuf ne pourra pas répondre, seul, à la crise du logement, alors même que les personnes qui font vivre le territoire à l’année n’arrivent plus à se loger localement.