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Manuel pour artiste NFT en herbe

Le 11 mars 2021, le NFT de l’œuvre numérique “Everydays : The First 5 000 Days” de l’artiste américain Beeple se vend au prix record de 69,3 millions de dollars. Plus d’un an après, des artistes en herbe se lancent dans l’aventure NFT, laissant souvent leur entourage dans la confusion. 

Ce sont d’abord ses parents qui répondent au téléphone. Sa mère l’appelle et quelques secondes après, Eliott arrive au bout du fil. Il a 13 ans, il est collégien et m’a contacté car il voudrait trouver une application de création de NFT. Ses parents n’y connaissent rien. Il est le premier de la famille à s’interroger sur cette nouvelle technologie. 

Devenir artiste NFT, une simplicité enfantine ?

Il y a près d’un mois, un copain d’Eliott lui a raconté la success story de Benyamin Ahmed. Ce britannique de 12 ans a fait fortune avec son projet NFT “Weird Whales”. 

Weird Whales est une collection de 3350 images de baleines créées sur un site de pixel art. Les deux premiers mois de sa sortie, Benyamin Ahmed gagne plus de 340 000 euros. Début 2022, son pactole dépasse le million. 

La collection Weird Whales sur OpenSea

Benyamin Ahmed n’est pas le seul enfant à percer dans les NFT. Une autre success story connue est celle de Nyla Hayes. Cet américaine de 12 ans est à l’origine de la série NFT Long Neckies, qui lui a rapporté 5,7 millions de dollars. A 12 ans, elle est maintenant multimillionnaire. Devant de tels succès, pas étonnant qu’Eliott soit curieux du monde des NFT. 

Mais pour se lancer dans le monde des NFT, il faut d’abord le comprendre. Un NFT, littéralement jeton non fongible (cessible), est un acte de propriété pour un objet numérique, ou matériel dans certains cas particuliers. L’objet numérique peut être un GIF, un tweet, une peinture digitale… Comme il est numérique, il peut facilement être copié et sa copie sera impossible à différencier de l’original. C’est là que la technologie des NFT entre en œuvre. 

Les NFT utilisent une technique digitale de stockage des données, la blockchain, qui retrace toutes les transactions de l’objet et qui est impossible à modifier frauduleusement. Si Eliott achète le NFT d’un GIF d’un bébé pingouin par exemple, il est sûr d’être le seul à posséder l’original du GIF du bébé pingouin, car dans la blockchain, tout le monde a accès au bloc de code qui dit qu’il lui appartient. Les NFT sont une révolution technologique majeure parce qu’ils ont réussi à introduire la propriété dans l’espace numérique. 

Mais Eliott n’est pas intéressé par l’achat de NFT. Il aimerait en créer et il veut savoir comment faire. Avant lui, d’autres ont sauté le pas. 

C’est quoi être artiste NFT ? 

Le premier a son âge. Darius, 13 ans et demi comme il le précise, a découvert les NFT cet été sur Tiktok. C’est à force de voir des vidéos d’influenceurs qui vantent les mérites des investissements dans les NFT, que le collégien décide de plus se renseigner. Il ne va pas acheter des NFT, “de l’argent facile mais où il faut un capital de base”, il choisit “la voie la plus compliquée mais la plus intéressante” : lancer sa collection de NFT. 

Exemple de vidéos TikTok sur les NFT et comment on peut devenir riche avec, Compte : NFT-News

Sur les grandes plateformes de vente comme OpenSea et Rarible, les NFT fonctionnent en collection. Une collection correspond à un compte, Bored Ape Yacht Club par exemple, et est constituée d’un nombre plus ou moins limité de pièces. Chaque œuvre est indépendante et peut s’acheter seule, mais d’où elle vient est facilement reconnaissable car généralement une collection égale un style. 

Darius préfère pour le moment taire le nom de sa collection, qu’il compte lancer sur OpenSea le 16 mai, mais elle sera “constituée de 300 pièces originales : 250 en pâte à modeler et 50 en dessin”. Le thème : un mélange entre ces deux passions, le cinéma et la pâte à modeler. L’objectif ultime de sa collection est d’ailleurs de “reproduire un film en pâte à modeler et que les acheteurs aient des avatars qui puissent regarder le film dans une salle de cinéma du métaverse”. 

Concrètement comment Darius a prévu de créer des NFT ? “Je vais faire les designs manuellement avec de la pâte à modeler », explique-t-il. Et pour le reste du processus, il a constitué une équipe de quatre personnes : un dessinateur, un designer, un graphiste, et un codeur. Trois sont des amis que Dairus connaissait avant.

L’équipe imagine les visuels, Darius les réalise en pâte à modeler, puis ils sont convertis en format numérique sur un logiciel 3D. Une fois les 300 réalisés, la collection sera prête à être vendue. 

Mais faire une collection entière n’est pas la voie la plus simple pour débuter. Théodore Piétron, un artiste NFT français de 19 ans, a lui aussi un projet de collection mais il a produit ses premiers NFT en tant qu’artiste résident.

Collection personnelle de Théodore Piétron, The SowsSiety

Être artiste résident c’est faire des oeuvres dans des collections qui appartiennent à d’autres artistes. “Celui qui gère la collection me donne un pattern et dessus, je fais ce que je veux, explique Théodore, en général, ils mettent dans le titre le nom de la collection X le nom de l’artiste, donc ça permet de commencer à être reconnu.” Au total, le jeune homme est artiste résident dans quatre collections NFT : The Drops, Moami Universe, The Clubs et Monumentalists. Ces collaborations lui ont permis de se faire connaître et de commencer à constituer une communauté sur laquelle s’appuyer pour lancer sa propre collection. 

L’oeuvre NFT que Théodore Piétron a fait pour la collection The Club

Créer certes mais vendre aussi

Eliott a le choix s’il veut devenir artiste NFT. Il peut s’atteler à la création de sa propre collection ou d’abord collaborer avec des collections déjà existantes. Les deux options demande plus de travail que d’aligner trois pixels. 

C’est compliqué de rentrer dans une collection, explique Théodore, j’ai eu cette occasion car j’ai participé à un concours de NFT et le propriétaire de la collection a aimé mon travail, mais en vérité mon parcours d’artiste NFT est assez atypique.” En effet, l’étudiant en BTS est arrivé dans le monde des NFT un peu par hasard. Depuis longtemps intéressé par le graphisme et la création, c’est en suivant un autre artiste qu’il trouve la porte d’entrée. “Je parlais souvent avec cet artiste sur Instagram, on s’entendait bien et quand il s’est lancé, il m’a emmené avec lui.” Ce parrainage officieux ouvre de nombreuses portes à Théodore en l’invitant dans d’autres collections. “Les NFT fonctionnent à la communauté, indique-t-il, il faut que les gens reconnaissent ton nom.”

Justement pour renforcer sa communauté, Darius était fin mars à la recherche d’un investisseur pour financer une agence de marketing. Car après avoir créer une collection de NFT, il faut la vendre.

Darius s’est lui-même occupé du business plan de sa collection. Mais pour les artistes moins attirés par les chiffres, la solution peut être de partager le travail avec une personne intéressée par les NFT mais non-créative. 

Maxime Gantois, 22 ans, fait partie de cette seconde catégorie. Il est étudiant à l’EDHEC et il les voit les NFT comme “de l’e-commerce”. “Le nerf de la guerre des NFT c’est le marketing”, annonce-t-il. Sa première collection de NFT, qu’il avait réalisée en solo, a été un succès : elle lui a rapporté entre 80 000 et 100 000 dollars. “Aujourd’hui, ça équivaut à moins car les taux des cryptomonnaies ont baissé” détaille-t-il. 

Pour sa nouvelle collection, Fightoons, il a délégué tout le créatif à quatre étudiants à Rubika, l’école d‘animation de Valenciennes. Les étudiants réalisent les NFT et Maxime s’occupe de la communication et du “community building” (la construction de la communauté). Cette fois, il espère atteindre 400 000 dollars lors de la vente de la collection cet été.

Twitter de Fightoons

Ce genre de collaboration permet à l’artiste de se soulager de tous les aspects non créatifs mais il oblige aussi à partager les recettes, pas toujours à l’avantage des artistes. Dans le projet Fightoons, Maxime a convenu avec les étudiants en animation qu’ils vont toucher 5% de chaque vente. 

Un pourcentage dont l’équité peut porter à discussion quand les NFT sont présentés comme un moyen de mieux rémunérer les artistes.

Un gain d’argent et d’expérience

Darius et Théodore, eux, font des NFT “avant tout pour aimer” mais ils reconnaissent que gagner de l’argent n’est pas négligeable. “C’est donnant-donnant, estime Darius, il faut que le travail rapporte.” L’adolescent, qui rêve de devenir réalisateur, espère financer un projet de film en pâte à modeler en vendant sa collection. 

Théodore pourrait aujourd’hui vivre chaque mois avec ce qu’il gagne en faisant des NFT. Il a déjà vendu une des ses oeuvres à plus de 2 000 euros. “Je ne veux pas dire que c’est de l’argent facile car ça demande du travail et du talent mais les NFT peuvent vite être rentables”, estime l’étudiant. Néamoins, devant la nature instable du marché, il préfère pour le moment ne pas miser uniquement sur les NFT pour vivre. 

Pour des mineurs comme Eliott et Darius, faire des NFT peut être un bon moyen de gagner de l’argent. Tout se passe en ligne avec des pseudos, aucune règle exige d’avoir plus de 18 ans. Le prérequis : parler anglais, la France étant très en retard sur le marché. L’inconvénient : toutes les transactions se font en cryptomonnaies, il faut prendre en compte les frais de conversion, de la plateforme… 

Le défi : se démarquer. Début 2022, la plateforme OpenSea compte plus de 600 000 utilisateurs., le volume de transactions quotidiennes se chiffre en millions. Pour ne pas se noyer dans la concurrence, s’occuper du marketing, de la communication est essentiel.

Dairus adore « créer des projets depuis qu’il est petit”, il est heureux de relever ce défi. “Faire le business plan, être manager de l’équipe, ça prend du temps mais j’adore ce que je fais” s’enthousiasme-t-il. Peut-être Eliott appréciera-t-il aussi ce premier pas dans le monde des adultes s’il se lance dans les NFT.

Laurène Godefroy

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